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  Meurtrie ET Divisee, L’eglise Belge Cherche Des Reponses a LA Crise

La Croix
September 23, 2010

http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2439814&rubId=4078

Apres la demission en avril de l’ancien eveque de Bruges pour pedophilie et la publication la semaine derniere d’un rapport accablant, les catholiques belges sont desempares. D’autant que cette crise s’inscrit dans un contexte deja difficile pour l’Eglise

Mgr Andre-Joseph Leonard, archeveque de Malines-Bruxelles au premier plan), face a la presse lundi 13 septembre a Bruxelles (AFP/BELGA/DIRK WAEM).

Un « tsunami ». Un « effondrement ». Les medias belges et les catholiques eux-memes hesitent a qualifier l’ampleur du scandale pedophile dans l’Eglise.

La demission, le 23 avril, de Mgr Roger Vangheluwe, alors eveque de Bruges – sans doute la « deuxieme personnalite ecclesiale » preferee des Belges derriere le cardinal Godfried Daneels, archeveque de Malines-Bruxelles pendant plus de trente ans – a ete un premier choc. La publication la semaine derniere des temoignages de certaines des 475 victimes recensees par la « commission Adriaenssens » le second.

Pour Catherine, paroissienne « engagee » a Bruxelles, visiteuse de malades et de personnes agees depuis plus de vingt ans, « c’est l’horreur ». « Ces pretres coupables ne se rendent pas compte du mal qu’ils ont fait aux victimes, a leurs familles, a l’Eglise et notamment a tous ces jeunes qui sont en recherche.

Le «dossier Dutroux de l’Eglise belge»

Elle-meme mere d’une fille abusee dans sa jeunesse, Catherine comprend cette « honte » des victimes, ce « silence qui dure » et ces familles dans la detresse : « Ce n’est pas une histoire d’argent, mais de reconnaissance des victimes et de leurs souffrances. »

Catholique pratiquant lui aussi et cadre bancaire, Matthieu, 34 ans, s’etonne : « La proportion de pretres pedophiles semble etre la meme que dans la population generale. C’est a la fois rassurant et effrayant : elle devrait etre cent fois moins elevee chez eux ! »

L’ampleur des abus causes par des pretres diocesains et, sans doute plus encore par des religieux dans les nombreux etablissements d’enseignement catholique du pays, a surpris, meme dans ce pays deja douloureusement affecte par « l’affaire Dutroux ».

Parler ensemble des evenements

Presentant a la presse son rapport – revelant le suicide de treize victimes –, Peter Adriaenssens l’a d’ailleurs qualifie de « dossier Dutroux de l’Eglise belge ». Une expression que ne conteste pas Mgr Guy Harpigny, eveque de Tournai et referent francophone pour les questions de pedophilie, « compte tenu de ce qui s’est passe ».

« Ce qui est grave, c’est que la confiance dans les eveques, dans les pretres, dans les institutions d’enseignement est rompue. Moi qui suis vieux, je peux survivre. Mais pour les jeunes, c’est terrible », reagit un pretre, qui reconnait que l’Eglise a sans doute voulu « un peu cacher » ces dossiers, mais « le plus souvent a la demande des familles ». « On a sous-estime le probleme, comme tout le monde : vous savez, je me souviens que certains, devant la justice, s’en sortaient avec une admonestation. Toutes ces souffrances physiques, psychologiques, cette peur, on ne les connaissait pas. »

Choisi comme administrateur diocesain apres la demission de Mgr Vangheluwe, le P. Koen Vanhoutte a du affronter la tempete, dans ce diocese de Bruges parfois qualifie de « Vendee belge » pour son nombre de pretres, de fideles… Dans une lettre, il a immediatement encourage ceux-ci « a se recentrer sur le noyau de l’Evangile », a parler ensemble des evenements. Lui-meme l’a fait au cours de nombreuses reunions avec les pretres, les diacres, laics ou seminaristes…

«L'important, c’est la reconnaissance des victimes»

A sa grande satisfaction, les deux seminaristes qui devaient etre ordonnes cet ete n’ont pas remis en cause leur choix, pas plus que les laics appeles a prendre des responsabilites. « Apres la deception, ils se sont remis debout. Cela montre qu’on ne s’engage pas pour l’eveque », note le P. Vanhoutte.

Il a du ecrire aux victimes de son diocese qui s’etaient adressees a la commission Adriaenssens, les rencontrer, et prendre contact aussi avec les pretres qu’elles avaient denonces. Certains sont encore en activite, d’autres en maison de retraite, mais dans la quasi-totalite des cas, les faits sont prescrits pour la justice penale ou la justice canonique.

« Ce qui me semble important, c’est la reconnaissance des victimes. Il ne faut pas diminuer la faute commise : elles ont besoin d’entendre que l’eveque prend en consideration leur histoire », constate le P. Vanhoutte.

«Un mouvement plus vaste dont on ne mesure pas les contours»

Il s’inquiete davantage pour ces « chretiens du deuxieme cercle », qui, au fil des ans, avaient pris leurs distances avec l’Eglise en raison de « ses positions morales, de sa doctrine ». « Pour eux c’est l’occasion de dire : "Je pars, je romps avec vous".»

Le siege de la Conference des eveques belges recoit tous les jours par mail des demandes de « debaptisation », plus encore les lendemains de revelations dans les medias. A Bruges, 254 demandes ont ete comptabilisees entre janvier et fin avril, et encore 212 autres supplementaires depuis, contre 70 a 100 les annees precedentes. Il y a quelques jours, une presentatrice de la television flamande a propose des formulaires en direct.

Theologien et professeur au seminaire de Bruges, le P. Geert Morlion reconnait vivre un « processus de deuil » : « Cela prend du temps. La demission de Mgr Vangheluwe a entraine un mouvement plus vaste dont on ne mesure pas les contours. » Alors que fin avril, il avait constate une affluence plus importante que d’habitude a la messe du dimanche – certains disant etre venus « le soutenir » –, comme le P. Vanhoutte, il observe deja que l’assistance devient plus clairsemee. « Sans doute certains se disent-ils : "Si l’Eglise n’est que ca, alors je n’en ai pas besoin"», esquisse le P. Morlion.

Un veritable delitement cote flamand

La « decouverte » de l’ampleur de ces abus sexuels se fait en effet dans un contexte difficile pour l’Eglise belge. Cote wallon, marque par une forte tradition industrielle, la chute de la pratique religieuse et, d’une maniere generale, la secularisation remontent deja aux annees 1950. Les defaites electorales enregistrees depuis une dizaine d’annees par les partis chretiens-democrates n’ont fait qu’accelerer le glissement et renforcer une tradition laique deja bien implantee.

Mais cote flamand, c’est a un veritable delitement qu’est confrontee l’Eglise : en a peine trente ans, la pratique religieuse y est passee de 80% a 5%. « Dans les annees 1970, 60% des enfants allaient dans les ecoles catholiques, et si le bourgmestre appartenait au parti chretien, l’ecole communale dispensait la meme instruction religieuse », se souvient le chanoine Leo Declerck, qui fut longtemps secretaire de la conference episcopale.

Desormais, tous le reconnaissent : les ecoles catholiques se referent aux valeurs chretiennes et humanistes, mais laissent bien peu d’ouverture a la foi. L’ecole, les hopitaux, les mutuelles, tous ces « piliers » de cette Eglise « sociologique » se sont effondres. « Elle n’etait au fond qu’une coquille vide », avance s?ur Noelle Hausman, professeur de theologie au seminaire jesuite de Bruxelles.

Desemparee, l’Eglise belge a bien du mal a reagir

C’est d’ailleurs en Flandres, dans les annees 1950 a 1970, qu’ont ete enregistres la plupart des abus sexuels recenses par la Commission. Une particularite que, dans ce pays en proie aux affres de la scission, chacun a note sans pouvoir bien l’expliquer.

« Sans doute le choc de la demission de Mgr Vangheluwe a-t-il ete plus fort en Flandres », avance un bon connaisseur de l’Eglise belge. « Sans doute aussi l’Eglise flamande est-elle restee plus longtemps en position de force, or l’abus de pouvoir est indissociable de l’abus sexuel. »

Desemparee, l’Eglise belge a bien du mal a reagir. Prisonniere de son glorieux passe dont certains peinent a faire le deuil, elle l’est aussi – a Bruxelles surtout – de ses anciennes (et parfois supposees) divisions : division entre un courant « progressiste » et un courant plus « traditionnel », division entre des « catholiques de base » et une institution ecclesiale supposee « deconnectee », division enfin entre partisans de la transparence et d’une approche humaine vis-a-vis des victimes et defenseurs d’une certaine discretion et d’un strict respect des procedures juridiques…

Manifestement, le catholicisme, parfois presente comme le ciment de la nation belge lors de sa creation au Congres de Vienne en 1815, ne tient plus.

«Pourquoi le contenu de notre foi est-il devenu si marginal dans la societe?»

Comment permettre a l’Eglise de retrouver un certain credit ? Professeur de theologie a l’Universite catholique de Louvain, specialiste du concile Vatican II, le P. Joseph Fameree juge qu’il est « peut-etre temps de proposer des etats generaux, sous forme de synodes par exemple, pour permettre aux catholiques d’analyser les faits, de s’expliquer ensemble ».

En attendant, dans les dioceses et dans les paroisses, la vie reprend son cours : les groupes bibliques ont fait leur rentree, de meme que les formations theologiques. Au debut de l’annee, la Conference des eveques belges a devoile le nouveau volet de son programme pluriannuel « Grandir dans la foi » : c’est sur les sacrements que vont plancher les fideles jusqu’en 2012.

« Ce travail est utile », fait valoir le P. Vanhoutte, a Bruges. « Mais ces derniers mois, les chretiens convaincus, moi-meme, nous sommes mis a nous poser la question : que croyons-nous ? Pourquoi le contenu de notre foi est-il devenu si marginal dans la societe ? A nous de trouver le moyen d’en parler, de montrer que nous entendons ces questions. »

Dans les debats actuels, le P. Morlion croit discerner plusieurs questions de fond, dont celle-ci : « Pourquoi avons-nous besoin des pretres ? Pourquoi une eglise ? »

 
 

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