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  LA Double Morale

By Nicole Muchnik
Le Monde
September 23, 2010

http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2010/09/24/la-double-morale_1415317_3232.html

Onse demande si le pape Ratzinger est de ce monde. « Emu par ce que (les victimes) avaient à dire… il a exprimé sa profonde affliction et sa honte face aux souffrances qu'elles ont subies ainsi que leurs familles ». Il a prié avec elles et leur a assuré que l'Église catholique continuait à mettre en œuvre des mesures efficaces afin de protéger les jeunes. « Ces révélations ont pour moi été un choc et une grande tristesse »…, il est « difficile de comprendre une telle perversion chez des ministres ordonnés, » dit-il. Le choc devrait être en tout cas relativement ancien puisque le cardinal Ratzinger fut durant vingt ans à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi laquelle, depuis le début des années 2000, était censée centraliser toutes les affaires de pédophilie.

Qu'aurait donc découvert récemment le pape Ratzinger ? Le pays le plus touché par les scandales est les États-Unis avec 0,7 % de prêtres impliqués, plus de 78 millions d'euros dépensés en 2009 pour compenser les victimes et près de 1,6 milliard d'euros pour traiter des affaires de prêtres pédophiles. Puis vient l'Irlande où un rapport de 2009 mettait en lumière des centaines de sévices sexuels commis par des prêtres sur des enfants et couverts par la hiérarchie. La moitié des curés jugés pour pédérastie en Angleterre et au Pays de Gales exercent toujours leur profession dûment rémunérée à partir de leur sortie de prison tandis que neuf d'entre eux, « suspendus » de sacerdoce, sont toujours logés et entretenus par l'église ou sont simplement déplacés ou envoyé « retrait spirituel ». Toutefois, le Cardinal Sean O'Brady continue de nier les faits. Pour le Guardian, « l'abus sexuel des mineurs était endémique dans les institutions catholiques ». En Belgique, après la démission forcée de Roger Vangheluwe, l'évêque de Bruges qui a reconnu avoir abusé sexuellement de son neveu mineur, la Commission Adriaenssens reçut, entre janvier et juin 2010, 475 plaintes, dont une centaine de témoignages de victimes –13 d'entre elles s'étant suicidées — qui a permis d'identifier près d'une centaine de personnes responsables d'abus. Mais pour l'Évêque de Tournai, il faut comprendre : « Les abus se commettent aujourd'hui à tous les niveaux de la société ». Plus légalistes, un juge et les neuf sages de la cour de justice de l'Oregon ont jugé qu'ils pourraient dorénavant poursuivre au civil le Vatican pour la gestion de l'Église dans le cas d'un prêtre pédophile.

Mais le pape ne se donne pas pour vaincu. Il fustige « l'inaptitude des solutions pragmatiques, à court terme, devant les problèmes sociaux et éthiques complexes ». Il confit en la religion qui peut jouer un « rôle correctif » et « aider à purifier la raison ». Avant de se préoccuper de notre raison rationaliste et raisonnante, la priorité du chef des catholiques ne devrait-elle pas être de purifier les mœurs de son clergé ?

À part les demandes de pardon – une mode de l'époque —, Ratzinger paraît surtout préoccupé à « chercher ce qu'il faut faire pour aider (les victimes)… à retrouver la confiance dans le message du Christ », car, pour le Vatican, cette pratique demeure avant tout « un crime contre la foi »… Il s'agirait aussi éventuellement de « soigner » les coupables, plus ou moins victimes eux aussi : « Nous savons qu'il s'agit d'une maladie, que leur libre arbitre ne fonctionne pas. »

Malades les moines, prêtres, curés, évêques, archevêques qui ont commis ou couvert des crimes, dont le récit horrorise, ce clergé que nous payons de nos deniers ? Certainement malades, mais pas d'une déformation physique, voire génétique, comme le voudrait Ratzinger, mais malade de la maladie la plus grave, celle qui tord le sens moral, obnubile la conscience du bien et du mal, affecte la nécessaire obligation de protéger le faible, l'innocent, l'enfant.

Le problème est ici celui de la double morale. Du nazisme on pouvait tout attendre, il fut clair dans ses intentions et ses faits. De même des terroristes qui tuent sans discrimination hommes, femmes et enfants sur un marché de Bagdad ou à New York et mettent en jeu leur propre mort. Peut-être parce que cela excède notre capacité d'assimilation du mal, on parle toujours en ce qui concerne l'église de « pédophilie », couvrant ainsi d'un terme scientifique et aseptique une réalité avant tout morale. La pédophilie des prêtres a tué des « personnes » en devenir, des « âmes », terme dont ils font abondamment usage à supposer que l'on sache ce qu'il recouvre ; elle a dévié le sens moral d'enfants à qui l'on a enseigné que les actes n'ont rien à voir avec les paroles ; à qui on à fait sentir que, par leur soumission obligée, ils n'étaient rien d'autre que des instruments, des choses, au service des volontés et désirs de l'autre ; on leur a enseigné le mensonge, la duplicité et l'hypocrisie destinés à cacher les crimes commis sur leur personne et dont ils ne pouvaient parler ; on leur a fait réaliser que le sexe peut être l'exercice d'un pouvoir glacial, dépourvu de tout sentiment, et impliquant la dégradation de l'autre ; que les adultes peuvent être doubles et qu'il est difficile de distinguer le pasteur du loup. Dans tous les cas, on a introduit un grave traumatisme dans la relation de normale confiance avec leurs parents. Plus troublant de la part de messagers de la foi : on leur a montré que le dieu qu'on leur demande d'adorer permettait que l'on fasse en son nom sur leur personne les actes les plus bestiaux. Le plus obtus des athées ne peut pas ne pas comprendre et être sensible à ce désarroi induit dans la relation de l'être croyant avec la transcendance.

« Laissez venir à moi les petits enfants », aurait dit Jésus. Il n'avait pas imaginé que le diable était dans le bénitier.

 
 

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