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Lettre Ouverte à Soeur Christine

By Eva Kavian
Le Soir
August 19, 2012

http://www.lesoir.be/debats/cartes_blanches/2012-08-13/lettre-ouverte-a-soeur-christine-931854.php

Le 11 août 2012

Sœur Christine,

Si je vous écris cette lettre aujourd'hui, ce n'est ni dans la colère, ni dans la joie. J'ai voulu me joindre à une des manifestations, et je ne me suis pas reconnue dans la colère et les discours ambiants. Une ou dix manifestations, cela ne changera rien. Cette lettre est ma petite manifestation personnelle. Vous avez dit oui, les gens disent non. Vous avez le choix, ils ne l'ont pas. Ils ont juste celui de signifier leur désaccord. Je vous écris pour vous signifier mon désaccord quant à l'accueil de Michelle Martin dans le village où je suis née et dans lequel je vis.

C'est la deuxième fois que notre justice lui accorde une liberté conditionnelle pour des faits similaires, ni vous ni la justice n'avez les moyens de garantir qu'il n'y aura pas de récidive. Mais, outre la crainte de récidive, c'est sur les effets de la crainte de récidive sur les comportements des malonnois que je souhaite attirer votre attention.

Quand j'ai eu des enfants, j'ai quitté Bruxelles et je suis revenue à Malonne où j'avais eu une enfance libre comme je voulais qu'ils en aient une. Dans ce village, à partir d'août 1996, j'ai vu des amis et voisins empêcher leurs enfants de jouer dehors, les traumatiser parfois avec leur crainte du danger potentiel de tout inconnu croisé. J'ai choisi de permettre à mes enfants une enfance aussi libre que la mienne, elles ont grandi sur les chemins du village.

A Malonne comme partout en Belgique, « l'affaire Dutroux » a changé les mentalités et plus aucun parent n'a néanmoins connu la sérénité que mes parents devaient avoir connue. Malgré tout, à ce jour et dans ce village paisible, beaucoup d'enfants circulent à pied ou en vélo, pour aller à l'école ou à leurs activités. Avez-vous pensé aux parents qui, à tort ou à raison, ne laisseront plus leur enfant circuler librement ? Avez-vous pensé à ce genre d'incidence ? Vous prenez une décision « mûrement réfléchie » et vous en imposez les conséquences à 5000 personnes quand elles n'ont plus le droit de participer au débat ? Sa défense reposait principalement sur le fait qu'elle était « sous influence ». Est-elle maintenant « sous l'influence de Dieu » ? Est-ce réaliste ? Rassurant ?

La justice a tranché et Madame Martin a donc le droit de se réinsérer, vous l'accueillez pour ses premiers pas. Poussons plus loin la réflexion : attendez-vous des malonnois qu'ils l'engagent comme institutrice pour participer eux aussi à sa réinsertion ? Qu'ils la prennent comme cuistot au camp lutin ? Comme bénévole à la bibliothèque ? Comme participante au cours de gymnastique ? Parce qu'un séjour dans un couvent contemplatif n'est pas une réinsertion dans la société, c'est un passage. Passage obligé pour Madame Martin, puisque personne d'autre n'en veut. Et après ? Sa simple présence va perturber pas mal de gens, à tort ou à raison mais ce sera ainsi. Mais ensuite, Sœur Christine ? Elle partira avec votre communauté ? Vous l'imposerez ailleurs ? Elle prendra un petit appartement social à Malonne ? Un petit travail en noir pour compléter les revenus du CPAS ?

Il y a le jugement, il y a les faits, il y a ce qu'on peut en penser, mais il y a aussi ce que votre décision aura pour effets, dans notre monde sur lequel vous avez choisi de veiller par la prière. Vous accueillez Madame Martin et ne vous portez pas en juges, vous respectez l'humain et ses faiblesses. Respectez aussi les faiblesses, les limites et la nature humaine de ces gens qui, du fait de votre décision, changeront leurs enfants d'école ou les empêcheront d'aller à pied chez leurs amis. Si on avait demandé l'avis des 5000 malonnois, pour ce qui est de l'accueillir, combien, pensez-vous, auraient dit oui ? Et aussi…quand on entend certaines réactions, ne peut-on pas se dire que la réinsérer signifie l'offrir en pâture à l'opprobre, éventuellement violente, de certains ? Dans un cas comme celui-ci, que deviendra la « malheureuse brebis » qui un jour s'est égarée ? Vous la protégerez ? Ne vous sentez-vous pas quelque peu instrumentalisée par des disciples de Ponce Pilate ?

C'est votre décision, celle de vos consoeurs et/ou de vos supérieurs. Mais si le prix que vous payez aujourd'hui est un dérangement momentané certain dans la tranquillité que vous avez choisie pour vous consacrer à la prière, je vous demande de réfléchir au prix à payer que vous imposez aux malonnois, à la liberté que vous leur laissez, face à cette situation. A moins que, comme certains le disent, la décision ne soit prise en haut lieu, et qu'il ne s'agisse pas d'un choix murement réfléchi mais de l'application de votre voeu d'obéissance. Auquel cas je me trompe de destinataire.

Les conditions de la libération de Madame Martin ont été décidées en huis clos. En faisiez-vous partie ? Les connaissez-vous ? Si vous avez eu la possibilité d'émettre deux exigences, ne pensez-vous pas qu'exiger que ces conditions soient publiques dès aujourd'hui, afin que nous puissions davantage mesurer les conséquences de votre décision et que soient limités ou validés les fantasmes de certains, serait un geste élémentaire de respect pour la population ?

En tout état de cause, la décision d'accueillir Madame Martin a été prise par une communauté, comme si cela ne concernait que cette communauté. Ce n'est pas le cas et vous pouvez comprendre que nombreux puissent être ceux qui vivent cela comme une violence. Cette attitude est tout au moins contradictoire avec l'image d'intégration au village que la communauté des Clarisses avait jusqu'à présent aux yeux des malonnois.

Nous nous sommes rencontrées il y a très longtemps, et régulièrement. Je garde de vous un souvenir paisible et lumineux. Je ne demande pas mieux que de vous rencontrer au sujet de ces questions. J'essaie également de ne pas juger. Mais je pense, du fond du cœur et avec tout mon respect, que votre décision n'est pas la bonne.




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