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Le cardinal Barbarin a-t-il couvert un prêtre pédophile ? Retour sur l'affaire Preynat

Marianne
March 12, 2016

http://www.marianne.net/cardinal-barbarin-t-il-couvert-pretre-pedophile-retour-affaire-preynat-100241049.html


[with audio]

[Has Cardinal Philippe Barbarin covered for a pedophile priest? Cardinal Barbarin is supected of having known of actions by a priest in his archdiocese, Bernard Prenat, but he never reported it to justice. A criminal investigation has been opened by the prosecutor in Lyon for failure to report a crime and endangering the livesof others. A complaint was made by a victims assoication called La Parole Liberee.]

Le cardinal Barbarin est soupçonné d'avoir connu les agissements pédophiles d'un prêtre de son diocèse, le curé Preynat, qu'il n'a pourtant jamais signalé à la justice. Il est visé par l’ouverture d’une information judiciaire par le parquet de Lyon pour non-dénonciation de crime et mise en danger de la vie d’autrui, à la suite du dépôt de plainte d’une association de victimes. Retour sur l'affaire.

Il s'entendait merveilleusement avec les enfants, qu'il aimait par-dessus tout prendre sur ses genoux. Surtout les petits garçons. Il manipulait les parents avec l'adresse de celui qui incarne l'autorité, divine qui plus est. La tête de proue des scouts, c'était lui, le «père Bernard» pour les intimes, M. le curé Preynat pour les autres dans la paroisse de Sainte-Foy-lès-Lyon. Un prélat qui profitait de son aura pour abuser en douce des enfants qu'on lui confiait. Parfois un parent réagissait mal, retirant promptement en cours d'année son petit des scouts après l'avoir entendu murmurer qu'il avait passé beaucoup de temps contre le ventre du père Bernard. Les autres adultes fermaient les yeux. C'était les années 80-90, où le curé pédophile bénéficiait encore de l'indulgence générale, sous le toit protecteur de l'Eglise.

C'était à une époque où bien peu osaient saisir la justice pour ce genre de faits. Avant Jean Paul II. Avant surtout le pape François qui, venu d'un autre continent, a bousculé la vieille Eglise européenne, engluée dans ses habitudes et soucieuse par-dessus tout d'éviter le scandale. Et bouleversé la règle du jeu. Quand ça commençait à trop jaser autour du bénitier, on éloignait le pervers. C'était sa seule punition. En espérant qu'aucune victime ne se réveille, comme c'est arrivé à François Devaux, un scout désormais adulte, qui est tombé par hasard sur Bernard Preynat et s'est mis en tête de lui demander des comptes. A lui et à l'Eglise...

  Barbarin dans le collimateur 

Une association, La Parole libérée, a été créée en décembre dernier à Villeurbanne, dans la banlieue lyonnaise. Un blog a suivi, qui a drainé la parole de dizaines de personnes réduites au silence et à la honte durant plusieurs décennies, avant qu'elles ne décident de se tourner vers la justice des hommes pour réclamer réparation. Tant pis si le temps a passé. L'essentiel était de faire sauter le couvercle de l'omerta en s'appuyant sur les nouvelles consignes du pape François, adepte de la tolérance zéro en matière de crime sexuel et qui a fermement réclamé que soit rendu à la vie civile tout homme d'Eglise pris la main dans la culotte d'un enfant...

Quelques mois après la création de La Parole libérée, le cordon sanitaire dressé autour du diocèse de Lyon et par son archevêque, le cardinal Barbarin, serait-il en train de rompre ? Philippe Barbarin, star des milieux catholiques intégristes et personnalité influente de l'Eglise de France, est aujourd'hui dans le collimateur de cette désormais célèbre association d'aide aux victimes d'actes de pédophilie. Fondée autour de trois hommes, dont François Devaux, son actuel président, cette petite structure s'est donné pour objectif de briser le silence de l'Eglise autour du cas du père Bernard Preynat. La Parole libérée l'accuse d'avoir abusé d'une dizaine d'enfants entre les années 1986 et 1991.

Les témoignages recueillis semblent si probants que le 27 janvier dernier l'ancienne idole des scouts a été mise en examen pour «agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans par personne ayant autorité». Il aura ainsi fallu attendre vingt-cinq ans pour que l'affaire éclate. Un quart de siècle où l'on aura vu à l'œuvre une machine à étouffer les scandales qui n'a son équivalent que dans l'Education nationale, où l'on a longtemps «recasé» les enseignants présumés pédophiles.

  Ecarté discrètement

A l'époque des faits, le père Preynat, aujourd'hui âgé de 71 ans, était le curé de la paroisse de Sainte-Foy-lès-Lyon, où il encadrait les camps scouts du groupe Saint-Luc, où le louveteau «fait toujours de son mieux», «ne s'écoute pas lui-même» et «écoute le vieux loup», où l'on cultivait les trois vertus scoutes : franchise, dévouement et pureté. Sur la base de lettres de dénonciation envoyées à l'archevêché dés 1991, l'homme, ordonné en 1971, avait été une première fois interrogé par sa hiérarchie et n'avait pas démenti les faits. Sans être inquiété ! Ses petits aveux avaient même valu absolution, après passage par le confessionnal.

Feu l'archevêque Albert Decourtray avait ainsi opté pour la méthode douce, la seule qu'il connaissait au demeurant. A savoir, l'écarter discrètement du terrain en l'envoyant se ressourcer quelques mois chez des bonnes sœurs, comme aumônier, loin des enfants... En échange de quoi ses supérieurs avaient négocié le fait qu'aucune plainte ne soit déposée. Une «mise en pénitence» de courte durée puisque, après quelques mois, le prêtre pédophile était de nouveau affecté dans une paroisse du roannais pour reprendre ses activités au contact des fidèles, mineurs et majeurs confondus...

En 1999, un archevêque fraîchement nommé, Louis-Marie Billé, l'envoyait cette fois à Cours-la-Ville, dans le Rhône, puis au Coteau, dans la Loire. De là, il continuait à donner ses offices et à recevoir les fidèles... Quand, trois ans plus tard, en 2002, la capitale des Gaules accueille son nouveau primat, Philippe Barbarin, l'institution continue de détourner le regard. Dès sa prise de fonction, le primat des Gaules se rend même à l'inauguration de la paroisse Saint-Michel du père Preynat, à Thizy-les-Bourgs. A cette date, «je ne sais rien», s'est justifié Philippe Barbarin sur les ondes de Radio chrétienne francophone (RCF), le 12 janvier dernier, quelques heures après la première conférence de presse des membres de l'association La Parole libérée.

Selon ses dires, le cardinal a appris le passé pédophile de Preynat «vers 2007-2008... au détour d'une conversation» avec un ancien habitant de Sainte-Foy-lès-Lyon. Ce serait seulement à ce moment-là qu'il prendrait contact avec «ce prêtre», comme Barbarin qualifie Bernard Preynat, pour ne jamais avoir à le nommer :

«Il me dit : "Oui, malheureusement, c'est vrai." [...] Je lui dis : "Est-ce que depuis 1991 il y a eu la moindre chose ou le moindre problème ?" "Non, non, non ! Je vous assure, jamais, jamais, jamais... J'ai tellement été effaré par ce que j'ai fait, ces conséquences que, vraiment, rien, rien." Certains me repprochent de l'avoir cru... Oui, je l'ai cru. [...] Pourquoi je ne l'ai pas dénoncé ? Parce qu'il y avait prescription canonique et pas de plainte.»

Plutôt que de le dénoncer, Philippe Barbarin a choisi de prendre pour parole d'Evangile les déclarations d'un prêtre qui lui assurait être devenu clean... Pis : au lieu de l'écarter des affaires du diocèse, le puissant archevêque de Lyon nomme Preynat doyen de six paroisses de la région, en juin 2013 !

C'est l'un des faits qui ont mis hors d'eux les adhérents de La Parole libérée. Car, de son propre aveu, le cardinal connaissait depuis au moins cinq ans les agissements du prêtre. «C'est irresponsable et inacceptable de la part de Philippe Barbarin d'avoir laissé un prêtre pédophile au contact d'enfants alors qu'il était au courant de ses crimes !» s'exclame le président de La Parole libérée, François Devaux, qui a contre le cardinal pour «non-dénonciation d'actes de pédophilie». Difficile de savoir si la procédure aboutira, car les faits sont anciens et donc prescrits. La démarche jette néanmoins une lumière crue sur la loi du silence qui règne dans l'un des plus importants et des plus prestigieux diocèses français.

Suspendu de ses fonctions

Jusqu'au 9 mars et un court entretien au , le cardinal Barbarin ne s'était exprimé qu'à deux reprises, et parce qu'il en était contraint, sur le cas Bernard Preynat. Une première fois sur les ondes de la radio RCF, donc. Une seconde fois dans les colonnes de la Croix. Lors de ces deux entretiens, il se dédouane et met tout en œuvre pour que la chute du curé n'éclabousse pas sa soutane. «Lorsque le cardinal l'a convoqué, le type avait l'air vraiment clair», insiste un membre de l'entourage de l'archevêque de Lyon qui requiert l'anonymat, manifestement gêné d'avoir à s'exprimer sur le sujet. «Et puis, rappelons que Barbarin était le quatrième archevêque à prendre connaissance du dossier [Albert Decourtray, Jean Balland et Louis-Marie Billé l'ont précédé de 1981 à 2002]. C'est comme si on demandait au ministre de l'Education nationale de se prononcer sur les agissements de trois prédécesseurs qui auraient eu à connaître un problème de ce genre avec un professeur d'école.»

Les proches du cardinal Barbarin semblent tomber de l'autel quand on remet en question ce système de défense. «Il n'y a pas l'ombre d'une ambiguïté dans les décisions que nous prenons ces dernières années lorsque surgit un cas de cette nature, explique Nicolas de Boccard, le «vicaire judiciaire» de l'archevêché. La marche à suivre a été explicitée par Rome, nous la suivons à la lettre.» Le cas du père Preynat est une «cause ancienne», nous explique-t-on encore.

Le cardinal et son staff ont beau jeu de rappeler qu'aucune plainte n'a été déposée avant le mois de mai 2015, ce qui était, rappelons-le, le deal initial entre le curé et ses chefs. «Il a reconnu ses fragilités, se défend le vicaire judiciaire. Il a demandé pardon. Il a fait amende honorable.» «Ma mise à l'écart m'a ébouillanté», aurait déclaré l'ancien patron des scouts lorsque l'archevêque Barbarin l'a interrogé. Assez explicite pour le convaincre qu'il avait, depuis, renoncé à toute crapulerie. Croire sur parole, c'est le style de la maison. Les victimes, elles, aujourd'hui âgées de 40 ans et pères de famille, ont nettement l'impression que l'on s'est moqué d'elles. Sur les 13 qui se sont manifestées, deux ou trois pourraient ne pas tomber sous le coup de la prescription. En attendant, le curé a enfin été suspendu de ses fonctions au sein du clergé français et a été placé sous contrôle judiciaire.




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