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Pédophilie dans le diocèse de Lyon : ce que l’on sait

By Samuel Laurent
Le Monde
March 17, 2016

http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/03/16/pedophilie-dans-le-diocese-de-lyon-ce-que-l-on-sait_4884147_4355770.html

Le cardinal de Lyon, Mgr Philippe Barbarin, lors de la Fête des lumières, à Lyon, en 2015.

[What we know about the pedophile scandal in Lyon.]

1. Que s’est-il passé ? L’affaire de Lyon comprend plusieurs volets et se déroule en plusieurs temps :

L’affaire Bernard Preynat. De 1971 à 1991, Bernard Preynat encadre, en tant que prêtre, le groupe de scouts de Saint-Luc, à Sainte-Foy-lès-Lyon, ville prospère jouxtant la capitale des Gaules.

A la fin de 2015, une ancienne victime présumée du prêtre écrit au procureur de la République pour dénoncer des actes de pédophilie commis par ce dernier, contre lui et contre d’autres anciens scouts. Il dit avoir effectué cette démarche après avoir rencontré d’autres victimes du père Preynat, et surtout après avoir, en vain, contacté le cardinal Barbarin, sans que rien ne soit fait, selon son récit à Rue89.

Le 23 octobre 2015, le diocèse de Lyon publie un communiqué annonçant que « plusieurs personnes » ont porté plainte contre le père Preynat pour des « faits antérieurs à 1991 ». Il assure : « Aujourd’hui, ce prêtre n’a plus aucune responsabilité pastorale, et tout contact avec les mineurs lui a été interdit. » Quelques mois avant, en 2014, le père Preynat était encore responsable de la paroisse de Roanne, dans la Loire voisine.

Il est mis en examen depuis la fin de janvier pour des faits d’agression sexuelle commis entre 1986 et 1991, et témoin assisté pour des faits de viol qui pourraient être prescrits. Il a reconnu les faits qui lui sont reprochés, et avoué que ses autorités de tutelle étaient au courant depuis 1991.

La question qui se pose aux victimes, réunies dans une association très active médiatiquement, La Parole libérée, est en effet celle de la prescription des faits : vingt ans après la majorité de la victime, dans le cas d’agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans. Il faut donc, pour pouvoir poursuivre le prêtre, trouver des victimes ayant moins de 38 ans.

L’affaire « Pierre ». Le diocèse de Lyon avait déjà communiqué, l’année précédente, pour déplorer les agissements d’un autre prêtre, mis en examen pour corruption et atteinte sexuelle sur mineur, et soupçonné d’avoir eu une relation sexuelle avec un adolescent fugueur de 14 ans. L’affaire se soldera par un non-lieu, le procureur estimant que l’adolescent avait menti sur son âge et que le prêtre avait sincèrement cru avoir des relations avec un homme majeur.

Suspendu de ses fonctions, le prêtre est remplacé à l’automne 2015 par un autre religieux à la tête de l’église de l’Immaculée-Conception. Mais celui-ci est à son tour mis en cause, lundi 14 mars, par « Pierre », un homme âgé de 42 ans, anonyme mais présenté comme un « haut fonctionnaire en poste au ministère de l’intérieur », qui témoigne dans un article du Figaro, dans lequel il dit avoir été victime d’attouchements dudit prêtre lorsqu’il avait 16 ans. Là encore, sa plainte, déposée en 2009, a été classée car les faits étaient anciens, et donc prescrits.

Ce sont donc deux cas anciens, de pédophilie reconnue par l’auteur, mais potentiellement prescrite, et de détournement de mineur potentiel, qui touchent le diocèse. En outre, La Parole libérée évoque « d’autres affaires du même type » qui seraient sur le point d’être révélées.

2. Combien de victimes y a-t-il ?

Dans l’affaire Preynat, qui se serait étalée sur vingt ans, de nombreuses victimes sont évoquées. La Tribune de Lyon mentionne dans un article d’octobre 2015 le témoignage d’une victime, abusée sexuellement à 12 ans, qui parle d’une « vingtaine de gamins [qui] y sont passés ». L’association La Parole libérée, elle, parle d’une cinquantaine, voire d’une soixantaine de cas durant les vingt ans où le père Preynat s’occupait de groupes de scouts.

Surtout, avance un autre témoin, toujours anonyme, dans le même journal, « des choses étaient déjà sorties à l’époque », et les familles avaient choisi de ne pas porter plainte, en échange de l’assurance que le prêtre serait éloigné des enfants. Ce qui n’a pas été le cas.

Effectivement, La Parole libérée a publié plusieurs lettres envoyées par le père Preynat à des familles de victime, dans les années 1990, après que celles-ci ont alerté le diocèse à son sujet. « Je n’ai jamais nié les faits qui me sont reprochés. Ils sont pour moi aussi une blessure dans mon cœur de prêtre », écrit Bernard Preynat, tout en minimisant :

« Comment pourrais-je quitter la paroisse du jour au lendemain comme un voleur après vingt ans de présence où je n’ai tout de même pas fait que du mal ? Sans avoir même le temps de dire au revoir, de ranger mes affaires, de déménager, sans nouveau poste durable. En me voyant partir ainsi, que vont penser les gens du quartier, ma famille, mes amis ? Ils ne tarderont pas à connaître la raison, la rumeur va se répandre partout et comment pourrais-je alors retrouver un ministère : je serai complètement coulé ! »

Il est pour le moment difficile de recenser précisément les victimes. Lyon Magazine a fait part en février d’autres cas potentiels d’abus plus récents de la part du père Preynat, en 2003. RMC a également publié le témoignage d’un père de famille faisant état de gestes « déplacés » de la part du prêtre.

En outre, des membres de l’association La Parole Libérée ont porté plainte directement contre le cardinal Barbarin et d’autres responsables de l’église lyonnaise, pour non-dénonciation de crime et mise en danger de la vie d’autrui. Une enquête préliminaire a été ouverte à la fin de février par le parquet de Lyon.

3. Pourquoi le cardinal Barbarin est-il violemment critiqué ?

Dans le cas du père Preynat, c’est l’attitude du diocèse de Lyon qui est critiquée. Car, alors que Bernard Preynat avait reconnu les faits dè 1991, les autorités ecclésiastiques l’ont maintenu en poste durant des années, se contentant de le changer de paroisse, mais le laissant de fait au contact d’enfants jusqu’à ce qu’un nouveau scandale éclate.

Le cardinal Barbarin a admis, dans La Croix, avoir été au courant des agissements du père Preynat « vers 2007-2008 », à la suite d’un témoignage. Il explique avoir demandé des explications au prêtre et l’avoir cru quand ce dernier a dit avoir cessé depuis.

« J’ai alors pris rendez-vous avec lui pour lui demander si, depuis 1991, il s’était passé la moindre chose. Lui m’a alors assuré : “Absolument rien, j’ai été complètement ébouillanté par cette affaire. (…) Certains me reprochent de l’avoir cru… Oui, je l’ai cru. »

Il ajoute que le père Preynat avait reçu la confiance du cardinal Decourtray, primat des Gaules dans les années 1990, qui l’avait rétabli dans son ministère après six mois de suspension.

Une fois averti de la nouvelle affaire, en 2014, Mgr Barbarin explique avoir sollicité l’avis du Vatican, qui lui aurait demandé d’écarter le prêtre :

« J’ai écrit à Rome, qui m’a conseillé de le suspendre de ses fonctions malgré les vingt-quatre années écoulées depuis les faits. Ce que j’ai fait. »

Mais, comme le relate Rue89, cette suspension n’a pas été rendue publique. La presse locale évoque d’ailleurs en juillet 2015 le départ du père Preynat pour « le Sedif, le service diocésain de la formation. C’est ici que sont formés des laïcs pour devenir catéchistes, ou encore animateurs en paroisse et dans les hôpitaux ».

Le premier ministre, Manuel Valls, a appelé mardi 15 mars Mgr Barbarin à « prendre ses responsabilités » dans cette affaire.

4. Que répondent les autorités catholiques ?

Le diocèse de Lyon s’est adjoint les services d’un expert en communication : Guillaume Didier, ancien magistrat, porte-parole du ministère de la justice (de 2007 à 2010), et désormais spécialiste en gestion de crise.

Le cardinal Barbarin a donc rejeté en bloc les accusations de laisser-faire, estimant qu’il a agi dès qu’il a été mis au courant des faits, en éloignant (discrètement, comme on l’a vu) le prêtre fautif. « Je veux dire avec la plus grande force que jamais, jamais, jamais je n’ai couvert le moindre acte de pédophilie », s’est défendu le primat des Gaules mardi 15 mars, lors d’une conférence de presse à Lourdes.

« C’est arrivé en 2006 et en 2014 [le cas signalé par  « Pierre » ]. La police peut en être témoin, ils m’ont rendu justice à ce sujet. Le dimanche suivant, le prêtre n’avait plus le droit de célébrer la messe dans sa paroisse. A aucun des deux je n’ai redonné de ministère », a-t-il assuré.

Le cardinal Barbarin assure donc n’avoir eu aucune preuve, et avoir cru son prêtre lorsqu’il lui a dit avoir cessé ses agissements. Une défense quelque peu mise à mal par la dernière victime, le fameux « Pierre », qui dénonce des abus commis contre lui par un autre prêtre.

La défense du cardinal Barbarin insiste dans ce cas sur l’âge de la victime présumée au moment des faits (16 ans), et assure :

« Ce sont des points très troubles de la vie d’un prêtre, mais qui n’ont rien à voir avec de la pédophilie. »

Mgr Barbarin a également eu une formule maladroite et très critiquée, en expliquant, à propos du père Preynat :

« La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits, mais certains peut-être pas. »

Une phrase dont il a lui-même reconnu la maladresse. Il expliquant en outre : « Il ne faut pas nous en tenir à une prescription juridique ou au fait qu’il n’y ait pas de plaintes. Manifestement, cela ne suffit pas, il y a quelque chose que nous devons changer. »

 




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