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Des Pretres Infaillibles Au Nom De Dieu

By Philippe Portier
Liberation
June 28, 2016

http://www.liberation.fr/debats/2016/06/28/des-pretres-infaillibles-au-nom-de-dieu_1462675

Messe de l’Assomption, en aout 2013, dans le sud-ouest de la France. Photo Marc Chaumeil

La doctrine de l’Eglise place le clerge au-dessus de la societe et de ses lois. Il incarne un «modele de perfection» qui ne souffre pas la moindre remise en cause publique. D’ou les difficultes a s’emparer de la question des abus sexuels.

Des pretres infaillibles au nom de Dieu

Le scandale de la pedophilie n’a pas laisse l’Eglise inerte. A partir des annees 90, apres que le rapport Doyle aux Etats-Unis (1985), lui-meme prolonge par des proces retentissants comme celui du pere Pipala en1993, a revele l’ampleur des abus sexuels en son sein, sa hierarchie s’est lancee dans une operation de clarification des comportements. L’episcopat americain est intervenu tout d’abord, en instituant, des 1993, une commission d’etude dont les travaux deboucheront en 2002 sur la mise en place de dispositifs de sanction des pretres pedophiles.

En France, la reflexion des eveques, lancee des 1998, sous l’effet en particulier de la mise en examen du pere Bissey, pretre du diocese de Bayeux, a donne lieu bientot a des textes d’orientation ferme comme celui adopte en 2002 «Lutter contre la pedophilie : reperes pour les educateurs». Malgre certaines oppositions au sein de la curie, le Saint-Siege, sous l’influence de Joseph Ratzinger, a accompagne le mouvement, en estimant, selon la formule du futur Benoit XVI, que l’idee de «pardon» (accorde au pretre fautif) ne saurait prevaloir sur celle de «justice» (rendue a l’enfant violente).

On remarquera cependant que cette prise de conscience des abus a ete tardive, et ne s’est pas operee sans resistance locale. Comme l’ont revele recemment les enquetes menees sur les affaires de Lyon, Toulouse ou Bayonne, nombre d’eveques, jusqu’a il y a peu, reglait les problemes en se satisfaisant de deplacer les pretres convaincus d’abus, en leur demandant simplement de s’amender et en leur assignant un directeur de conscience, souvent lointain. Nulle denonciation a la justice, nulle suspension de fonction : l’affaire devait se regler secretement, au mieux dans la cloture d’une conversation avec les parents des enfants abuses, qu’on sommait, en excipant de l’argument de la Caritas, de bien vouloir accorder leur pardon a l’ecclesiastique coupable. Rien ne dit que les choses ne continuent pas ainsi.

Comment expliquer cette conspiration du silence ? On souligne parfois que l’Eglise s’est comportee comme toute autre communaute sociale, en faisant valoir, de maniere tres corporatiste, la logique de protection de l’organisation sur celle de sauvegarde du sujet. Mieux valait au fond, ici comme ailleurs, une petite injustice qu’un grand desordre, d’autant que souvent, jusque dans les annees 70, on a volontiers, comme on le voit dans le rapport Kinsey, minimise les effets des agissements pedophiles sur l’equilibre psychique des enfants. Faut-il alors faire de l’Eglise une institution comme les autres ? Sans doute pas : la resistance de l’Eglise a la logique de la transparence et son tropisme corporatiste s’enracinent dans une configuration theologique particuliere.

Il faut d’abord faire reference a la theologie catholique de l’Eglise.

Le concile Vatican II a fait (re)emerger des concepts comme celui de «peuple de Dieu», ou, plus tard, celui de «communion» pour qualifier l’institution ecclesiale. Il n’a pas repudie, pour autant, la theologie ancienne de la Societas perfecta, dont Paul VI, lui-meme, rappelait encore, en 1972, toute la puissance structurante. Ne, au moment du tournant moderne, d’une reaction devant la situation nee de l’absolutisation du politique, ce concept a trouve son expression aboutie au XIXe siecle : il visait a placer l’Eglise, «societe parfaite dans son ordre», a l’ecart de l’emprise de l’Etat souverain.

Or, dans la position du magistere a l’egard de la pedophilie, cette idee s’est trouvee subrepticement reactivee : l’Eglise, a-t-on entendu, doit pouvoir disposer, pour gerer son domaine, de ses propres regulations. A sa facon, cette remarque faite au pere Preynat, le pretre lyonnais par lequel le scandale est arrive, par l’un de ses confreres, temoigne de la remanence de cette doctrine de la juxtaposition des deux societes : «Dans le civil, avec ce que tu fais, tu pourrais etre en prison.»

Mais l’embarras ne peut etre dissocie non plus de la theologie du pretre. Il importe de revenir ici au rituel de l’ordination. En recevant le sacrement de l’ordre, le clerc entre dans un univers different de celui ou sejourne le simple fidele : lui sont attribues des pouvoirs specifiques, d’ordre doctrinal, gouvernemental, sacramentel. Ce dispositif de distinction se prolonge en un dispositif de rassemblement : un lien profond se cree entre ces pretres que leur commune configuration au Christ - le pretre est Alter Christus - place dans une fraternite organique, qui rend tres difficiles, sans doute, les denonciations, ou les mises a l’ecart, d’autant d’ailleurs que le pretre est cense incarner un «modele de perfection» dont on ne peut publiciser la transgression sans peril pour la reception du message du corps catholique tout entier.

On voit sans doute que le travail en matiere de prevention de la pedophilie reclame plus que des agencements institutionnels. La situation appelle une forme d’aggiornamento culturel : il s’agit de compenser ce que la theologie catholique peut avoir d’excessivement organique par une ouverture plus affirmee a l’horizontalite de la relation humaine.

* Co-auteur avec Celine Beraud de : Metamorphoses catholiques, editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2015.

 

 

 

 

 




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