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Témoignage : Claire Maximova, ex-soeur carmélite violée par un prêtre

By Morgane Giuliani
Marie Claire
March 22, 2019

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[with video]

Cette ancienne soeur carmélite témoigne de l'abus spirituel et des viols qu'elle a subis de la part d'un prêtre, qui était son accompagnateur spirituel, dans "La Tyrannie du silence" (Cherche Midi). Elle décrit un système qui ne prend pas au sérieux la souffrance des femmes.

Lorsqu'elle arrive à la rédaction de Marie Claire, Claire Maximova est pile à l'heure, souriante. Elle a la répartie bien sentie, le mot qui fuse, la blague toujours prête. Malgré l'horreur de ce qu'elle vient raconter devant notre caméra. En janvier a été publié son livre, La Tyrannie du Silence (Cherche-Midi), dans lequel elle raconte l'abus spirituel, et les viols qu'elle a subis de la part d'un prêtre lorsqu'elle était soeur dans un carmel, il y a quelques années à peine.

Âgée de 44 ans, elle a signé ce livre-témoignage dans l'espoir de faire bouger les choses, alors que le Pape a récemment reconnu que des viols de femmes ont lieu au sein de l'Église catholique. L'autre grand scandale qui menace le Vatican, après la pédocriminalité. De son côté, comme de nombreuses autres soeurs agressées, Claire Maximova n'a rencontré que de l'incompréhension, ou du silence indifférent, souvent culpabilisateur, quand elle a cherché de l'aide chez ses supérieurs. 

Crise de foi

"J'ai été légèrement déçue que la sortie du livre n'ait pas porté plus de mouvement dans l'affaire que ça", regrette-t-elle du bout des lèvres, avant de dire qu'elle sait à quel point les tribunaux sont débordés, notamment en ce qui concerne les violences sexuelles. Claire Maximova a porté plainte au pénal. Aux dernières nouvelles, un gendarme l'a appelée pour lui demander si elle connaissait l'endroit où se trouvait son agresseur. Toujours au Canada, où il avait été muté, d'après ce qu'elle savait. Un procès canonique est également en cours.

Claire Maximova n'est donc pas prête à obtenir réparation : "J'attends une réponse de la part de l'Église. Est-ce que ça va vraiment sauver l'image de l'Église à mes yeux ? Je ne sais pas. Au moins, ça peut ne pas la couler complètement. J'aurais bien aimé que ça bouge, que mon agresseur soit arrêté, pour qu'il n'y ait pas d'autre victime, qu'il comprenne que ce qu'il a fait n'est pas anodin, qu'il a cassé une vie, la foi, ma relation à l'Église, et que ça ne peut pas partir juste avec un 'Excuse-moi'."

Abus spirituel

L'Église, dont elle se méfie, désormais, qui a abîmé sa relation à Dieu en ne l'écoutant pas, en la laissant seule face à ce Pierre-Judas (le nom a été modifié) qui aurait donc profité d'une période de crise profonde dans sa vie pour abuser d'elle, d'abord spirituellement, puis physiquement. À cette époque, cette jeune immigrée ukrainienne ne parvient pas à s'intégrer parmi ces soeurs "parfois plus âgées que sa grand-mère", à l'organisation rigide, étouffante, aux tâches ingrates. C'est au sein de son carmel, lieu de silence et de prière pour les prêtres, que Claire Maximova rencontre Pierre-Judas, lorsqu'il vient y donner une conférence. Elle trouve son propos intéressant, lui pose des questions. Elle le recontacte : "Il avait été très gentil, il avait passé pratiquement la journée entière à m'écouter. [...] Il avait dit qu'il voulait bien me prendre en charge et m'aider", se souvient-elle.

Un an plus tard, elle le contacte à nouveau. Il devient rapidement son accompagnateur, puis même, son frère spirituel. Le voeu le plus cher de Claire Maximova à l'époque, qui se sent alors très seule : "Il était le seul qui pouvait me comprendre. Parce qu'à chaque fois que je lui exposais une situation, il m'expliquait que ma façon de voir les choses était correcte. Donc ça me rassurait. Il n'était pas quelqu'un d'extérieur au carmel, donc il comprenait ce qu'était la vie d'une carmélite."

Je lui ai offert mon âme sur un plateau. Il n'avait qu'à se servir.

En position de faiblesse, Claire Maximova subit ce qu'elle nomme un "abus spirituel". En devenant son confesseur et seul confident, le prêtre Pierre-Judas a tout le loisir de fouiller les moindres recoins de son âme et de sa foi. Il sait sur quelles faiblesses appuyer pour la manipuler : "Ce dont j'ai manqué cruellement dans la communauté, je l'ai trouvé dans ce frère, dont j'ignorais complètement qu'il était un pervers narcissique. Du coup, même les questions qu'il ne me posait pas, mais que j'avais besoin de partager, parce que chaque être humain a besoin de partager ce qu'il vit avec une autre personne, je les lui livrais. En toute simplicité. Je lui ai offert mon âme sur un plateau. Il n'avait qu'à se servir."

"Tu es une aide sur le chemin de la virginité"

Très vite, Pierre-Judas devient "indispensable". "Je dépendais de lui, comme de l'air", explique Claire Maximova. Il était mon réconfort. Il m'aidait vraiment. Donc, quand il a essayé de m'embrasser au parloir et qu'il a essayé de retourner la faute contre moi, alors qu'il savait pertinemment que je n'avais rien fait, je n'avais aucune parole, aucun geste, pour le séduire, là c'était la profanation."

Il a fait tout ce qu'il a pu faire, il m'a agressée autant qu'il a pu, il m'a violée. Il a pris tout ce qu'il a pu prendre, et il a saccagé tout ce qu'il a pu saccager.

Dès cette première agression, la soeur s'oppose : "Je lui ai envoyé un mail en lui disant que je l'ai très, très mal vécu, que ça me mettait mal à l'aise, que ça me donnait des pensées suicidaires, et qu'il fallait absolument qu'il arrête." Même si Pierre-Judas présente souvent des excuses, il n'arrête pas. Il l'agresse presque à chaque fois qu'ils se voient. "Il a fait tout ce qu'il a pu faire, il m'a agressée autant qu'il a pu, il m'a violée, résume cette professeure d'anglais. Il a pris tout ce qu'il a pu prendre, et il a saccagé tout ce qu'il a pu saccager."

Pour justifier ses agressions, Pierre-Judas invoque les difficultés de la vie de prieur. Son statut de prêtre, et a fortiori, d'homme saint, empêchent pendant longtemps Claire Maximova de croire qu'il puisse sciemment mal agir : "Il ne peut pas être mauvais, il faut juste que je participe à son sauvetage, que je continue à prier pour lui, que je fasse des sacrifices pour lui, que je continue à l'aider, se répète-t-elle à l'époque. Car lui me disait : 'Tu es une aide sur le chemin de la virginité, de la chasteté. Donc toi, tu dois m'aider.' Donc je croyais que j'étais là, effectivement, pour l'aider.

Dissociation

Face à ces agressions répétées, presque ritualisées, Claire Maximova s'enferme dans un schéma très classique pour les victimes d'agressions sexuelles : la dissociation, qui résulte de la sidération. Son corps ne présente aucun signal d'alarme face au stress énorme qu'il rencontre. Dans son cas, elle se manifeste après la première fois où Pierre-Judas tente de l'embrasser. Dans son lieu d'études, elle devient étiquetée "séductrice" : "C'est comme s'il y avait un déclic dans ma tête. Je me voyais de l'extérieur. J'étais absolument anesthésiée au niveau émotionnel. Je ne ressentais plus rien. Ni joie, ni peine, ni rien."

Même quand Pierre-Judas lui affirme ne rien craindre, car l'Église "fait surtout la chasse aux pédophiles", elle reste dans le déni : "Avouer cela à moi-même, ça aurait été enfoncer ma tête dans une marée d'excréments. J'avais bien entendu, mais je ne voulais pas l'accepter, je ne voulais pas l'admettre. Je l'ai refoulé complètement."

Ça a complètement cassé ma confiance dans la hiérarchie de l'Église, et envers les prêtres.

Il lui faut attendre la mutation de Pierre-Judas au Canada, dans le cadre d'une promotion, pour que ses symptômes s'amenuisent, et qu'elle prenne conscience de ce qu'elle a vécu. Elle essaie, à nouveau, de dénoncer les agissements de son frère spirituel auprès de supérieurs, de les alerter sur sa dangerosité, en vain. "Ça a complètement cassé ma confiance dans la hiérarchie de l'Église, et envers les prêtres, appuie Claire Maximova. Quand j'ai vu que mon agresseur était tout à fait capable d'avoir un air d'un saint prêtre, de célébrer la messe d'une manière tout à fait recueillie et sainte, un quart d'heure après m'avoir violée… Quand je vois un prêtre, je me pose toujours la question : 'Je ne sais pas ce qu'il a fait il y a un quart d'heure.' Je n'ai plus confiance en eux."

Hypocrisie 

En perdant confiance dans les prêtres, seuls autorisés à recueillir la confession, Claire Maximova s'est retrouvée dans une impasse. Dès lors, la vie consacrée, indissociable de la confession, n'était plus possible pour elle. Elle a donc quitté l'Église, et est devenue professeure d'anglais dans le secondaire.

Peu à peu, elle a pris conscience qu'un nombre important de soeurs seraient concernées par des agressions sexuelles, ce dont elle n'avait jamais entendu parlé avant d'en être elle-même victime. Elle a aussi réalisé la profonde dichotomie de l'Église, entre un discours idéalisant en partie l'image de la femme à travers, notamment, la vierge Marie, et des attitudes profondément sexistes parmi ses membres. "La femme est considérée comme subordonnée, dans le sens où elle ne peut pas prendre des décisions, elle ne peut pas comprendre les choses, dénonce Claire Maximova. Elle n'est là que pour servir les prêtres et être auxiliatrice. J'ai passé dix ans de ma vie à prier pour les carmes, et pour quel résultat..." 

Voir à quel point l'Église culpabilise les femmes, c'est très choquant.

Aux yeux d'une majeure partie de l'Église, les femmes sont des tentatrices, et donc, responsables du fait que ces hommes ordonnés, décrits "faibles", "cèdent à la tentation" : "Ce discours officieux est très concret, très répandu et pratiquement par tous les prêtres. Voir à quel point l'Église culpabilise les femmes, c'est très choquant. Surtout pour moi qui n'aie jamais eu affaire à ce genre de situation dans le monde, jusqu'à mon entrée dans les ordres."

Pour elle, l'Église ne punit ni les pédocriminels, ni les violeurs de femmes : "Je n'imaginais pas trouver une institution complètement privée du péché, évidemment. Mais entre être pécheur et se complaire dans le péché, et promouvoir ceux qui agressent et ceux qui font des victimes, il y a une différence très, très grande."

Je ne suis pas sûre qu'un jour je pourrai vraiment être comme neuve de nouveau.

Claire Maximova nous dit n'avoir "aucune vie intime", mais elle s'est rapprochée de plusieurs associations de victimes, comme La Parole Libérée : "Je sais que le chemin vers la reconstruction complète va être long, admet-elle d'un sourire triste. Et je ne suis pas sûre qu'un jour je pourrai vraiment être comme neuve de nouveau. Avec ce corps-là, abusé et violé, je dois vivre jusqu'à la fin de mes jours. Je sais que pour me sauver, pour me remettre debout, pour me reconstruire, j'ai vraiment un grand besoin de l'intervention divine." Claire Maximova n'a peut-être plus confiance dans l'Église, mais elle a encore foi.




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