Allégations d’abus contre le cardinal Marc Ouellet

QUéBEC CITY (CANADA)
Présence [Montreal, Canada]

August 16, 2022

By Francois Gloutnay

Action collective contre l’archidiocèse de Québec

Le cardinal québécois Marc Ouellet est nommé dans une longue liste d’agresseurs déposée en appui à une action collective contre l’archidiocèse de Québec.

On reproche au cardinal, aujourd’hui un proche du pape François, des gestes qu’il aurait commis en 2008 contre une jeune agente de pastorale. Il était alors archevêque de Québec. Ces gestes, selon les documents judiciaires déposés aujourd’hui, seraient «des attouchements de nature sexuelle non consentis».

Le nom d’un autre évêque apparaît dans la liste. Il s’agit de l’évêque auxiliaire Jean-Paul Labrie (1922-2001), en poste à Québec de 1977-1995. Dans son cas, les faits reprochés auraient eu lieu en 1968 alors qu’il était le supérieur du séminaire de Saint-Victor de Beauce.

Cette action collective, au nom de toutes les «personnes ayant été agressées sexuellement par un membre du clergé diocésain» ou encore «par un religieux, un membre du personnel pastoral laïc, un employé, un bénévole laïc ou religieux» sous la responsabilité de l’archidiocèse de Québec entre le 1er janvier 1940 et le jugement à intervenir, a été autorisée le 19 mai 2022 par un juge de la Cour supérieure du Québec.

L’archidiocèse de Québec avait obtenu, provisoirement, que les noms des agresseurs allégués, identifiés par plus d’une centaine de victimes, ne soient pas divulgués publiquement. Il y a moins d’un mois, le 22 juillet, les avocats de l’archidiocèse ont fait savoir qu’ils ne demandaient plus que cette liste demeure confidentielle.

Ce tableau compte aujourd’hui 101 victimes différentes. Outre les noms du cardinal Ouellet et de l’évêque Labrie, on trouve deux prêtres associés au Séminaire de Québec ainsi qu’un grand nombre de prêtres diocésains, responsables de paroisses ou encore d’écoles paroissiales. La plupart de ces prêtres sont aujourd’hui décédés. Quant aux victimes, beaucoup avaient moins de 18 ans lors de leur première agression.

Le pape François informé dès janvier 2021

Les autorités de l’archidiocèse ont été informées, dès janvier 2021, des gestes reprochés au cardinal Marc Ouellet. Une responsable du Comité-conseil pour les abus sexuels envers mineurs et personnes vulnérables de l’Église catholique de Québec, le comité diocésain responsable de recevoir les plaintes, a même demandé à la victime d’écrire une lettre personnelle au pape François.

Le pape a bien lu cette lettre puisque le 23 février 2021, on informe par courriel la plaignante qu’il a lui-même nommé un enquêteur dans cette affaire. Il s’agit du jésuite Jacques Servais, le recteur de la Casa Balthasar de Rome, une maison qui accueille des étudiants en théologie. Le père Servais et le cardinal Ouellet sont tous les deux des spécialistes de la pensée du théologien Hans Urs von Balthasar.

Les faits

En août 2008, une femme de 23 ans appelée F., qui débute à titre d’agente de pastorale, participe à une rencontre de tout le personnel de l’archidiocèse de Québec. Elle y rencontre l’archevêque, le cardinal Marc Ouellet, pour la première fois. Assise à l’arrière de la salle, a-t-on écrit dans la demande introductive d’instance déposée aujourd’hui, F. «sent alors deux mains se poser sur ses épaules et se mettre à masser ses épaules avec force». Elle reconnaît aussitôt le cardinal qui «lui sourit et lui caresse le dos avant de repartir».

«F. demeure figée face à cette intrusion et ne sait pas comment réagir». Elle est troublée, reconnaît-elle, et «un sentiment de malaise la suit pour le reste de la journée».

Quelques mois plus tard, elle rencontre de nouveau le cardinal lors d’une réception. Celui-ci l’embrasse «avec familiarité» et «la retient fermement contre lui en lui caressant le dos avec les mains».

En février 2010, lors d’une fête, le cardinal dit à la jeune femme «qu’il peut bien l’embrasser à nouveau, car il n’y a pas de mal à se gâter un peu. F. trouve ce commentaire complètement inapproprié». Le cardinal s’exécute et «glisse sa main le long du dos de F. jusqu’à ses fesses».

À partir de ce moment, la jeune femme évite toutes les réunions ou encore les lieux où elle pourrait croiser de nouveau l’archevêque de Québec. «Lorsque F. ose parler du malaise qu’elle ressent face au cardinal, elle se fait répondre qu’il est tellement chaleureux et qu’elle n’est pas la seule femme à avoir ce genre de problème avec lui», a-t-on écrit dans la requête judiciaire.

Le 30 juin 2010, le pape Benoît XVI nomme l’archevêque de Québec préfet de la Congrégation pour les évêques (aujourd’hui le Dicastère pour les évêques). Il occupe toujours cette fonction.

Ce n’est que dix années plus tard, après une formation sur les abus sexuels, que l’agente de pastorale «comprend que les gestes du cardinal Marc Ouellet constituent un attouchement de nature sexuelle non consenti et donc, une agression sexuelle».

En novembre 2020, sans toutefois révéler le nom du cardinal, la plaignante achemine un courriel au Comité-conseil pour les abus sexuels envers mineurs et personnes vulnérables de l’Église catholique de Québec. En janvier 2021, elle mentionne aux autorités le nom du cardinal Ouellet. Le pape doit aussitôt en être informé, lui indique-t-on.

101 victimes

F. est l’une des 101 victimes qui ont contacté le cabinet Arsenault Dufresne Wee Avocats depuis que l’action collective contre l’archidiocèse de Québec a été autorisée par le juge Bernard Godbout de la Cour supérieure.

Les représentants des victimes sont Gaétan Bégin et Pierre Bolduc. Les deux affirment avoir été agressés par le curé de leur paroisse respective il y a plus d’un demi-siècle.

Gaétan Bégin se souvient qu’en 1960 son père ainsi qu’un médecin se sont rendus à l’archevêché de Québec afin de dénoncer les abus commis par l’abbé Rosaire Giguère. Le prêtre fautif aurait d’abord été «placé en repos» puis transféré dans une autre paroisse. L’abbé Giguère est décédé en 1974. Dans le tableau des agresseurs, le nom de cet abbé est mentionné quatre fois.

Pierre Bolduc aurait été agressé une première fois au presbytère de Robertsonville, quelques heures après une sortie au cinéma offerte par son curé. Ce prêtre, Jean-Marie Bégin, a été très actif dans les mouvements d’Action catholique, étant même aumônier diocésain de la Jeunesse ouvrière catholique (JOC) et de la Ligue ouvrière catholique (LOC). En 1986, l’abbé Bégin, âgé de 60 ans, se donnera la mort par pendaison à son chalet de Coleraine. Le nom de l’abbé Bégin apparaît six fois dans la liste des agresseurs.

La requête déposée aujourd’hui par les avocats contient les témoignages de six autres victimes, dont celui de F. présenté plus tôt.

L’archidiocèse de Québec n’entend pas commenter cette affaire pour le moment. «Un communiqué sera rédigé plus tard», indique toutefois l’adjointe de l’évêque auxiliaire Marc Pelchat, aussi responsable du Comité diocésain pour la protection des personnes mineures ou vulnérables de l’archidiocèse de Québec.

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